Terre d’expérimentation des modèles alternatifs depuis les années 60, les territoires ruraux foisonnent d’initiatives et jouissent d’une nouvelle attractivité, à l’heure du questionnement profond de nos systèmes. Montée en puissance de la néoruralité, inventions de nouveaux modèles, retour à la terre, pluriactivité : Hélène Tallon, géographe, consultante et chercheure associée à l’UMR Innovation de Montpellier décrypte pour nous la diversité et l’incroyable dynamisme des espaces ruraux. Et si le «monde d’après» était rural ?
BackToEarth : Vous observez et accompagnez depuis plus de 20 ans les nouvelles formes d’activités dans les territoires ruraux, le phénomène des néoruraux est-il récent ?
Hélène Tallon : Dès les années 60, des personnes sont venues s’installer en zone rurale. Un phénomène concomitant d’une grande vision sociale de l’après-guerre, une vision de la société, de l’être humain, de son rapport à la nature... Les modèles dominants étaient adaptés aux centres de décision citadins. C’est donc à la marge, dans les espaces ruraux, loin des villes, que se sont inventés et diffusés des modèles alternatifs. L’agriculture biologique en est, par exemple, directement issue. Aujourd’hui les combats sont nouveaux, en particulier dans le domaine de l’agriculture, où s’exprime une vision parfois plus radicale que celle promue par les premiers mouvements alternatifs. De même pour d’autres activités, pour les manières d’habiter ou de travailler, ces territoires offrent des possibilités d’expérimentations qui sont très intéressantes et qui le restent.
On ne cesse de parler depuis quelques semaines, d’inventer le fameux «monde d’après». Entre ce foisonnement d’initiatives dans le monde rural que vous décrivez, et le désir de campagne ravivé par la crise du covid, n’y a-t-il pas actuellement une opportunité pour les territoires ruraux de jouer un rôle politique plus fort ?
Oui et non. On ne peut pas avoir de vision trop globalisante du sujet, au risque de faire des raccourcis qui ne seront pas valables. La ruralité recouvre des mondes très différents. Les espaces ruraux sont une mosaïque très diverse en termes d’histoire et de contextes sociologiques. De même les motivations d’installations sont variables et vont s’adapter au contexte. Il y a beaucoup d’acteurs différents, qui luttent pour exister. Dans la partie agricole par exemple, les mondes ne se font pas de cadeaux. Deux manières de voir s’opposent. Une vision ultra libérale de productivité et une vision plus en lien avec la terre, le territoire, et le sens de ce qu’on produit. Deux visions économiques se confrontent et les luttes seront âpres. Il y a par ailleurs un manque de visibilité politique du phénomène des néoruraux. C’est problématique, et cela brouille les pistes. C’est un point de vigilance dans l’installation néorurale, il y a là un vrai manque de compréhension du fonctionnement de ces espaces …
Avez-vous observé une montée en puissance de la néoruralité ? Peut-on parler de la fin de l’exode rural ?
A l’exception de certains départements du quart Nord-est, on peut dire que l’exode rural est terminé. Dans le Sud et L’Ouest, les espaces ruraux se repeuplent depuis un moment déjà.
Y a-t-il des différences entre les néoruraux d’aujourd’hui et ceux des années 60 ?
Il y a beaucoup de différences. Le contexte économique pas du tout le même. Il est à la fois plus facile et plus difficile. Le panel de candidats à l’exode urbain est beaucoup plus large. Certaines personnes ne peuvent plus vivre en ville du fait du coût des loyers et se tournent alors vers le périurbain voire les espaces plus éloignés des villes. D’autres décident de s’installer par choix. Il s’agit généralement de jeunes, plutôt diplômés. Certains ont des projets d’installation très concrets, d’autres recherchant plutôt un cadre de vie.
Peut-on relier ces projets avec la transition écologique et la quête de sens de certains citadins?
C’est très vrai dans les espaces les plus éloignés. En revanche en périphérie des villes, on est plus sur un besoin individuel de changement de qualité de vie, plutôt qu’à une remise en question de ses pratiques sur l’environnement. Mais ce n’est pas toujours le cas...
Dans quelle mesure le retour à la terre, le rééquilibrage des territoires sont-ils souhaitables ?
Le rééquilibrage est souhaitable. Mais dans le retour à la terre, il y a peu de retour à la terre effectif. Certaines personnes viennent juste profiter cadre de vie, et cela peut créer des tensions, comme potentiellement toute arrivée de personne extérieure au territoire. Au-delà des tensions objectives créées sur le prix du foncier et de l’immobilier, l’amplification par exemple du phénomène de double résidence ne crée pas automatiquement de « communauté de destin ». Il y a bien sûr de très belles expérimentations, mais cette gentrification à bas bruit peut créer des situations très délicates, voire inverses au but initialement recherché. En empêchant par exemple l’installation d’agriculteurs, du fait de l’augmentation des prix du foncier. Il faut donc être vigilant.
Concernant le «retour à la terre», peut-on parler de phénomène ou est-ce encore très marginal?
De plus en plus de personnes veulent s’installer et monter une activité agricole, mais cela se fait essentiellement en petite agriculture, diversifiée. D’une part du fait de l’accès au foncier, mais aussi pour faire accepter certaines pratiques. Il y a de vraies luttes de territoires et de terre. En nombre le phénomène n’est pas du tout marginal, mais comme il se fait sur petites surfaces, cela ne change pas le monde agricole, ou à la marge. On en revient au problème de représentation et de légitimité politique.
Qui sont ces «néopaysans» ?
Ils sont originellement très loin du monde paysan, et développent souvent une pluriactivité. C’est vraiment très intéressant, et cela se rapproche justement de l’activité paysanne historique, qui était pluriactive par essence. Ce mot de paysan est connoté politiquement, et les historiens ne l’utilisent pas pour décrire des pratiques actuelles car il balise une époque. Mais il marque aussi une philosophie de vie, un rapport à la nature. Ces nouveaux « paysans », donc, ont beaucoup de compétences et de richesses.
Comment cette pluriactivité, qui est le cœur de vos recherches, s’exprime-t-elle ?
Cela dépend du territoire mais aussi du réseau de la personne qui s’installe. D’une personne à l’autre et d’un collectif à l’autre, les projets sont très divers. De nouveaux métiers se créent, et se combinent. On est en pleine transition de modèle. Reste à voir comment les territoires accompagneront cette pluriactivité qui monte en flèche et qui est une véritable opportunité, pour peu qu’elle soit soutenue. Le droit du travail n’est pas adapté à la pluriactivité. Il y a là une déconnexion entre l’injonction politique qui pousse à l’autoentrepreneuriat et l’accompagnement à la pluriactivité proposé… Les besoins sont énormes ainsi que les opportunités. Les coopératives d’activité sont par exemple de merveilleux outils pour combiner des activités diverses tout en bénéficiant d’une protection sociale liée au travail stable et entière !
Certains territoires sont-ils plus foisonnants que d’autres ?
Bien sûr, il y a des régions ultra connues comme la Drôme, la Bretagne. Mais Il y a des expériences inspirantes partout. Dans le Centre de la France, dans le Nord, il se passe des choses très intéressantes ! A vous* d’aller mettre en lumière ces initiatives méconnues !
*Back To Earth lancera au mois de juin, sa chaîne Youtube, dont la vocation est justement de médiatiser ces initiatives incroyables menées par des paysans, des associations, des chercheurs, des entrepreneurs, des artistes, des collectivités, partout en France ! Le monde d’après existe déjà…
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