CHARGEE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE, MAIRE DE CHATEL-EN-TRIEVES (38)
Comment êtes vous devenue maire en zone rurale, quel est votre parcours ?
J’ai grandi à Annemasse, dans une zone éducation prioritaire, un quartier. J’ai fait mes études d’urbanisme à Lyon et Paris. J’ai rencontré mon ex-mari, originaire du Trièves et je suis tombée amoureuse de ce territoire au sud de Grenoble. J’ai rejoint mon conjoint qui avait repris la ferme de ses parents. J’y ai été accueillie comme nulle part ailleurs et j’ai senti que cet endroit pouvait devenir mes racines. On peut dire que ce territoire m’a adoptée. Il avait tout perdu après avoir vécu une véritable désertification : école, épicerie, il ne restait plus que 75 habitants (c’est le creux de l’exode rural en 1975, à mon arrivée il y a avait environ 250 habitants). J’ai été embauchée par le maire comme secrétaire de mairie, et il m’a proposé de redonner vie à un domaine de 3 hectares en proposant aux habitants de se projeter sur ce que pourrait devenir ce lieu. Ma formation d’urbaniste et mes expériences d’outils de concertation citoyenne, m’ont permis d’organiser des ateliers participatifs et tout le village est venu. Ce village qui avait tout perdu a imaginé autour de ce domaine un véritable vivre ensemble : jardins partagés, café épicerie, théâtre de verdure, tout cela a été proposé, nous avons ensemble cherché les financements, et les citoyens se sont structurés en association. Nous avons créé une commune nouvelle, Chatel en Trièves et toute cette dynamique a permis d’accueillir des porteurs de projets. Mon goût de la politique s’est éveillé à ce moment là, lorsque j’ai pris conscience de la possibilité pour les habitants d’agir pour le bien commun au niveau le plus local. Je suis devenue maire, ce n’était pas prémédité.
Tout est allé ensuite assez vite. Lorsque l’on est une femme maire (il y en a peu, 20% dans les zones rurales), et qu’on a des idées, une vision partagée, on est vite sollicitée. J’avais notamment collaboré à un ouvrage sur l’engagement des citoyens dans les communes. L’AMRF organisait son 50 ème anniversaire autour d’un congrès Femmes, communes, et république. On m’a associée à son organisation, et on m’a demandée de devenir Vice Présidente, en charge de la transition écologique.
Qu’apportent les femmes aux transitions justement et comment connectez-vous les deux sujets ?
Le lien avec la transition écologique n’était pas ressorti du congrès et n’avait d’ailleurs pas été abordé. Mais lorsque j’ai pris cette vice-présidence à la transition écologique, je me suis rendu compte de la différence d’approche entre les hommes et les femmes. Là où, beaucoup d’hommes vont avoir une approche technique de ce sujet qui nécessite en effet des expertises, j’ai vu dans les approches des femmes, une approche plus sensible, organisationnelle, dans un tout autre registre. Typiquement cela a été mon cas, puisque je n’avais pas d’expertise du sujet. J’ai plutôt essayé de rassembler autour d’une vision et j’ai proposé de construire un discours de la transition écologique vue par les ruraux.
Cette vision s’est construite avec un dispositif méthodologique qui a permis d’embarquer pendant 6 mois une centaine de maires et de faire émerger des pépites dans nos territoires. Par l’intelligence collective nous avons construit un message politique fort autour du rôle majeur que doivent jouer les ruralités dans les transitions.
Quelle vision politique de la contribution des ruralités aux transitions a pu émerger suite à vos travaux ?
Le récit part de ce fondement qui est que nous représentons 88% du territoire national, et que ce sont dans nos territoires que se gèrent les biens communs naturels . L’enjeu est à la fois de ne pas subir les transitions, ni d’être instrumentalisés, mais bien que le rural devienne acteur.
Le deuxième point vient de l’importance des rencontres permises à l’échelle des villages. C’est une échelle qui permet de mobiliser la créativité des gens et de les embarquer autour de projets d’avenir, ce qui est autrement plus stimulant que de parler chiffres. On n’embarque pas les gens en leur disant il faut faire moins 40%... Le village permet de belles rencontres et la commune est un espace politique essentiel pour les transitions. C’est là que doivent se construire avec les habitants, les réponses aux besoins des citoyens. Il y a des gens qui font de belles choses et qui ont une énergie à déplacer des montagnes. L’alimentation, la sobriété peuvent se décliner en projets à une échelle très concrète pour les gens. Et il faut entendre les besoins des ruraux et leur apporter une reconnaissance. On veut bien des éoliennes, mais on veut aussi des écoles, des boulangeries, des médecins, c’est une question de justice. L’engagement des élus devrait aussi être reconnu. Si les élus ruraux ont moins d’administrés à gérer en revanche, il gèrent beaucoup de territoires et de projets liés aux biens communs (eau, forêts,..). Je suis pour la professionnalisation des élus locaux. Il y a tellement de leviers à activer, et si peu de moyens donnés, notamment le temps. C’est difficile d’exercer son mandat en ayant un autre job à côté, rajoutez la parentalité et on frôle le burn out. Le fonctionnement des villes, villages et quartiers, nécessite un engagement total.
Que vous évoque l’expression retour à la terre et féminin ?
Cela m’évoque beaucoup de femmes engagées sur le terrain, qui essaient d’agir dans le concret et avec pragmatisme et de répondre aux besoins des communautés pour que chacun puisse trouver sa place. Il y a chez elles ce souci de prendre soin de la maison collective. Par ailleurs lorsque je regarde les personnes qui se sont installées dans notre village récemment, en tant qu’agricultrices, artistes ou pour ouvrir un salon de coiffure, je réalise qu’il y a beaucoup de femmes. C’est frappant d’ailleurs de voir autant de femmes engagées mais finalement peu en postes de responsabilités.
Comment favoriser la montée en puissance des femmes ?
La commune rurale favorise leur engagement par rapport au milieu urbain. Les actions de repérages peuvent se faire assez facilement car beaucoup de femmes sont aux avant-postes dans les associations et les engagements de terrain. Il faut alors les coopter, mais surtout il faut éviter qu’après un mandat, elles ne lâchent faute d’avoir pu concilier vie pro, vie politique et vie perso. La fonction d’élu expose à de la violence et ce peut être particulièrement éprouvant à l’endroit des femmes. La professionnalisation du mandat peut être une réponse à cet enjeu d’équilibre. On peut aussi faire des choses sur le choix des horaires de réunion pour ne pas pénaliser la parentalité. Le remboursement des frais de garde rendu possible par la loi « engagement et proximité » m’a permis de payer une babysitter, mais ne peut on pas être élue et mère et revendiquer le droit d’être avec ses enfants le soir pour les voir grandir? Nous avons fait en tout cas de nombreuses propositions et l’AMRF a une vraie volonté de de démocratisation de la fonction !
Envie de rencontrer Fanny ? Rendez-vous le 20 février sur les rencontres nationales du retour à la terre et de l'avenir des territoires pour une édition consacrée au "Retour à la terre et féminin".
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